DIRECTEUR... ENFIN !
Quelques esprits déliés et fins l’avaient observé, je suis une ganache, un mal à tout, un crétin. Heureusement qu’ils ne m’ont jamais rencontré pour de vrai comme on dit, car en plus de ma laideur et de ma ventripotence, je me néglige un peu, même les éboueurs les plus aguerris me fuient. Quand, l’été, je m’installe sur un banc de la Chaume et que je boulotte mes crottes de nez avant de savourer ce qu’il y a entre mes orteils, une délicate manie d’enfance, les touristes défaillent, j’ai beau leur proposer une rasade de mon cubitainer du matin, c’est malaise ou débandade. Tous des citadins sans estomac.
Le décès de mamie Paulette, il y a deux ans déjà, m’a laissé dans l’embarras. Pensez donc ! Depuis le suicide de mes parents qui disaient que je les ferai mourir de chagrin, c’est arrivé, elle s’occupait bien de moi mamie Paulette : briquage de ma chambre, bonne cuisine, lessive et repassage. Tout impeccable. Une brave ma grand-mère, silencieuse, travailleuse, dévouée. Pas trop regardante mamie, elle me laissait tout l’argent des ménages qu’elle faisait alentour et la moitié de sa pension pour mes « fantaisies d’homme »…Ah ! comme j’aimais quand elle me fourrait des billets dans la poche en me disant, va t’amuser grand garnement et fais attention à ne pas attraper de maladie. Avant de mourir, elle m’a enfin donné ses économie extirpées de je ne sais où, pourtant je l’avais cherché ce foutu magot, rusée la coquine ! Bref, à cause de la vie chère, la boîte de biscottes sonne creux, plus que quelques coupures jaunes et une dizaine de napoléons, faut dire que je bois et mange beaucoup et que les gourgandines sont de plus en plus exigeantes.
Subvenir à mes gros besoins ? Ça me fatigue de faire des démarches, j’aime pas bien les gens, et puis me morfondre dans les interminables files d’attente derrière les guichets des administrations, c’est pas mon truc. Une fois je suis allé à Pôle Emploi, un calvaire. On vous demande une kyrielle de choses invraisemblables… Antécédents professionnels ? J’ai jamais bossé moi. Trop bonne pomme j’ai laissé ma place aux autres car c’était déjà le chômage. Diplômes ? J’avais le permis mais on me l’a retiré pour une histoire d’éthylotest, déréglé ou pas aux normes l’engin, ils n’ont jamais voulu le reconnaître.
Jusqu’à hier je contemplais mon avenir avec autant d’enthousiasme qu’un agneau voyant venir Pâques ou l’Aïd el-Kébir. Et puis…
Et puis une idée, que dis-je, l’idée !
auto-entrepreneur
On dit tellement de bien de ceux qui se remuent, qui prennent des risques et tout ça. On ajoute même qu’ils gagnent beaucoup d’argent, les plus malins évidemment.
Pour s’inscrire c’est facile, on trouve sur google, mais il faut se méfier car il y en a des qui réclament de l’argent, et c’est illégal. Autrement, j’ai lu ce que raconte Mr Novelli, un ancien d’Occident et du Front National, donc un humaniste énergique. Il ressort de ma lecture qu’il n’y a que des avantages à être auto-entrepreneur, on est libre, on peut s’installer où on veut, faire ce qu’on veut et puis directeur tout de suite, donc j’ai fait le bon choix, surtout que tout le monde y gagne…
De plus en plus de PME licencient et proposent à leurs ex employés de devenir auto-entrepreneurs, ça veut dire quelque chose ça, non ?
Enfin, comme il fallait déterminer une activité j’ai opté pour laudateur. Dithyrambique. J’envoie ce soir ma première facture à Mr Novelli. N’hésitez pas à libeller votre commande sur un billet de cinq cents euros, vous en aurez pour votre argent, surtout que j’ai des clients prestigieux et reconnaissants. Sur google le tavernier a même réussi à associer son nom au mien.
Ma promotion mérite bien ...
http://www.youtube.com/watch?v=Yq_if8R5xZE
Et toujours…
